Quand les AOP permettent l'utilisation des hormones pour contrer la notion de saison chez les chèvres et les brebis

Au départ l'idée était de faire un vilain article sur la pauvreté des cahiers des charges de certaines AOP et les hérésies qu'ils permettent. Mais après dix pages de rédigées, et n'étant qu'à la moitié du travail, j'ai décidé de lancer une petite rubrique. On commence cette semaine avec la saisonnalité chez les chèvres et les brebis et l'utilisation des hormones ! C'est pas que drôle mais bon c'est mardi et en plus c'est encore un peu la rentrée... Bonne lecture ! 

Les chèvres et les brebis sont des animaux saisonnés ! Et ça veut dire quoi ?

Ça veut tout simplement dire qu'elles ont des saisons de production. Pour faire vite, une chèvre n'accepte un bouc qu'en automne, quand les jours commencent à diminuer. A cause de quoi ? De la mélatonine, une hormone que nous sécrétons tous, la nuit. Cette hormone déclenche le cycle :  essayez de parler d'un bouc à une chèvre ou d'une chèvre à un bouc en mai et ils n'en auront vraiment, mais vraiment rien à faire ! Autant, en cette saison, les chèvreries ont des allures de lupanar trash, autant le reste de l'année c'est le calme plat. 

Une chèvre fait naturellement ses petits en février, plein de lait au printemps, un peu moins en été, encore un peu moins en automne (ça fatigue de courir après les garçons...) et peu voir pas en hiver quand elles sont taries (on arrête de les traire pour qu'elles prennent des forces pour la campagne suivante). 

Vous commencez à cerner le souci ? Pas de lait d'hiver ? Pas de Sainte-Maure sur le plateau de Noël ? Obligé de manger du fromage de chèvre en été, quand les villes se vident et les consommations diminuent ? Ne vous inquiétez pas ! Il y a des solutions ! Et l'une des plus fréquentes... c'est les hormones...

Le traitement hormonal d'induction des chaleurs 

J'ai été formateur en élevage caprin et je l'ai appris à mes élèves... C'est une réalité de la filière pour faire du lait en hiver et décaler le cycle de cette foutue chèvre, amoureuse qu'en automne. Ça consiste en quoi ? On introduit une éponge dans le vagin de la chèvre et on lui fait deux gros shoots d'hormones. Je vous ai calé une petite vidéo instructive... Vous apprécierez le moment où l'on dit qu'il faut être doux pour ne pas traverser la paroi vaginale avec l'applicateur. De plus ce traitement est quasi obligatoire pour inséminer une chèvre ( ce qui concerne environ 80 000 chèvres par an, ça en fait du fromage ;) )

Et c'est quoi le souci finalement ? 

Alors il y aura les pro et les anti. Personnellement je me place du coté de ceux qui n'ont pas envie de manger un produit fait par un animal à qui on injecte des hormones. Après traitement, la viande ne peut pas être consommée pendant cinq jours, par contre le lait peut être utilisé sans souci. OK peut-être que je "psychote". En tout cas une chose est sûre, les AOP qui sont censées maintenir des savoir-faire traditionnels autorisent cette pratique. Aucune AOP de fromage de chèvre n'interdit l'utilisation des hormones dans l'élevage des animaux ! Et là faut m'expliquer... J'entends la détresse des éleveurs face aux consommateurs qui les poussent à appliquer ces pratiques. Mais bon... D'autres méthodes existent ! Comme d'utiliser la lumière, de garder les animaux en lait sans les mettre au bouc. Le seul cahier des charge qui l'interdit est celui de l'agriculture biologique.

Quelques extrait du cahier des charges des AOP fromage de chèvre

Il y a ceux qui n'en parlent pas, autorisant la pratique de fait. Et ceux qui l'assument. Je vous montre ? Pour infos, tous les cahiers des charges mis à jour sont sur l'excellent blog cook and cheese, ou sur le site de l'INAO mais c'est beaucoup plus long...

Le fameux Crottin de chavignol ! Les hormones, c'est tout en bas ! Notez au passage que le pâturage n'est pas obligatoire pour les animaux : 1.5 mètre carré de béton dehors suffit ! Ah le beau fromage de nos campagnes françaises... 

Alors ici pour le Maconnais les animaux doivent sortir ! Bon, par contre on peut "éponger" cinquante pour cent d'entre elles...  

Merci le Rocamadour ! Ici c'est soixante pour cent du troupeau qui peut avoir son shoot d'hormone...

L'AOP Selle sur Cher simplifie les choses ! Pas besoin de sortir les animaux et tout le monde peut passer par la case désaisonnement

Et le Valencay pour finir...

Mais les brebis aussi ? 

 

Et oui ! Pour elles, c'est un peu différent car elles sont moins sensibles à la saison. Néanmoins, afin de les inséminer, elles ont aussi le droit à ce traitement hormonal d'induction des chaleurs. En fait soixante pour cent des Lacaunes y passent.  C'est pas moi qui le dis, c'est Agroparistech, l'une des plus grandes écoles d'agriculture française ;) Et le lien est ici. 

On est loin de l'histoire du fromager amoureux de sa bergère qui oublie un morceau de pain à côté d'un fromage dans une grotte. Les jolies Lacaune du pays de Roquefort passent en majorité aussi par la case hormone... C'est étonnant que ni Société ni Coulet ni Carles ne nous montre ça dans leurs pubs. 

On conclut et on se dit à très vite pour une petite nouvelle ? 

Cette réalité est bien connue de la filière, des éleveurs, des fromagers, des crémiers et peu sont à l'aise avec ce sujet. Ce qui me dérange ici, c'est que cette pratique, aussi contestable soit elle, trouve franchement sa place dans les cahiers des charges des AOP. Je suis sûrement naïf en me disant que leur rôle est de maintenir de la vie dans nos campagnes en valorisant un travail traditionnel. Mais bon finalement ils laissent les mêmes choses s'installer, au même titre que les éleveurs de porcs bretons qui déclenchent les mises bas des truies avec des hormones. Comme si cela n'était pas grave, pas important. Comme si elle était encore traditionnelle l'agriculture française. Derrière chaque hormone injectée à un animal, il y aura toujours une volonté de productivisme, de rentabilité, de "niveau laitier", de "maintien des volumes " et jamais de qualité... Alors moi qui suis pas mal débordé de commentaires et de mails type "vive le beau fromage de nos campagne" ou encore "vive nos fermes traditionnelles qui font des bons produits", je ne peux m'empêcher d'y coller un léger bémol... Pensez y en faisant vos courses ;)